Acte 1 : Le récit du rêve
« Je suis dans une pièce qui est un mélange entre le lieu où j’habite, l’espace de mon cabinet de thérapeute, et l’espace d’ici où se déroule la supervision. Ma cliente est étendue, nue, sur un matelas ; mais, chose curieuse, c’est bien le visage de ma cliente, mais le reste du corps est celui de ma femme. Je suis face à elle, à quelque distance, et je la regarde. Après quelques instants, j’entends un bruit derrière moi, je me retourne et je vois ma femme. Agacé par sa venue, je lui dis : vas-t’en, tu n’as rien à faire ici. Elle s’en va, et le rêve se termine. »
Acte 2 : La mise en scène du rêve
Le deuxième acte sera la mise en scène de ce récit du rêve, par le biais d’une sorte de psychodrame proposé par le superviseur. Ce qui va alors se jouer, n’est bien entendu pas la « vérité » du rêve, c’est une construction nouvelle, une construction s’appuyant sur le récit du rêve, sur ce qui se passe pour les membres du groupe, et aussi sur ce qui, rationnel et irrationnel mêlés, passe par la tête du superviseur.
Mise en scène, donc : le thérapeute va jouer son propre rôle, l’une des femmes du groupe incarnera son épouse, tandis qu’une autre sera pour quelques instants cette cliente-au-corps-d’épouse.
La situation s’installe, le thérapeute est face à cette cliente-épouse, et pour l’instant rien ne se passe, il ne ressent pas grand-chose, pas même de désir, et pourtant, il avait bien annoncé qu’il s’agissait d’un rêve érotique. Déception ? Pas sûr.
C’est alors que l’épouse entre, fait du bruit, le thérapeute se retourne et, excédé, l’interpelle : « va-t’en, tu n’as rien à faire ici ! ». Le ton est tel qu’elle en reste sans voix.
Acte 3 : Intervention du superviseur
Le superviseur propose de reprendre la même scène, mais cette fois, au moment où le thérapeute interpelle son épouse à propos de son arrivée intempestive, il invite l’épouse à réagir. Et, de fait, elle réagit immédiatement : « c’est toi qui m’as demandé de venir, et en plus je suis chez moi, je ne vois donc vraiment pas pourquoi il faudrait que je men aille ! ».
Sidération du thérapeute : jamais il n’avait imaginé, bien qu’intellectuellement il l’ait toujours su, que ce rêve était sa propre création. C’est bien lui qui, au plus profond de son sommeil, avait convoqué ces différents personnages, c’est bien lui qui avait agi en produisant ce rêve. C’est lui qui avait télescopé plusieurs espaces, celui de son activité professionnelle, celui de sa vie privée, celui de la supervision ; c’est lui aussi qui avait mis en images une confusion entre sa cliente et son épouse.
Et pourtant cela ne signifie pas que tout cela était déjà dans le rêve, que la vérité du rêve ait enfin été dévoilée, le « c’est bien lui qui avait convoqué ces personnages », ne va pas forcément de soit. Bien sûr, c’est le rêveur qui rêve, mais la dimension de « convocation » n’existe sans doute que grâce aussi à la manière de ressentir et de réagir de la participante incarnant le rôle de l’épouse. Une autre participante incarnant le même rôle, autre chose se serait sans doute produit, ou plutôt autre chose se serait construit. C’eût été encore une autre histoire !
Acte 4 : Intégration, construction et ajustement
A partir de là, à partir de ce jeu, et ce jeu n’est bien entendu qu’un nouvel acte s’appuyant sur l’acte de se souvenir de ce qui est rêvé, et de le relater, c’est le temps pour le thérapeute de se tourner vers l’ « à-venir », vers une nouvelle manière de concevoir les liens entre sa vie privée et sa vie professionnelle.
Et alors, qu’en est-il de la dimension érotique ? Rien pour l’instant : ce qui au départ s’énonçait comme tel ne vient pas en figure. Refoulement, évitement co-créé par tous ? Peut-être… L’affirmer serait en revenir à une « vérité » supposée du rêve.
Renoncer, au moins provisoirement, à cette idée d’une possible « lecture du rêve », c’est précisément renoncer à l’idée qu’un rêve puisse se lire, à l’idée qu’il y aurait quelque chose à y décrypter pour y voir d’avantage une occasion, un prétexte appelant à, et permettant la construction d’un sens nouveau.
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